- Le Tour de la Tête de l'Estrop (Massif des Trois-Evêchés) - 4 Jours

Publié le 6 novembre 2025 à 14:15

Réalisé du 02 au 05 novembre 2025

 

Peu connu, à l'écart des grandes métropoles alpines et méditerranéennes et au coeur de la zone la moins densément peuplée des Alpes françaises, le Massif des Trois-Evêchés cumule de nombreux atouts pour attirer les randonneurs en quête de montagnes sauvages et pures. La fréquentation reste encore captée par le Massif du Pelat et son Lac d'Allos, ainsi que par les pourtours de Serre-Ponçon et de l'Ubaye. Entre les deux, le Massif des Trois-Evêchés marque la frontière entre les hautes terres alpines et les plateaux de Provence. C'est cette limite géographique, entre aride et humide, entre chaud et froid, entre lavandes et mélèzes, bref, entre Provence et Alpes qui fait de ce groupe de montagnes un lieu si unique.

Les Trois-Evêchés est une dénomination que l'on retrouve à plusieurs endroits dans les Alpes françaises. Et à chaque fois, l'appellation prend un sens bien précis et bel et bien religieux. Pour ce massif en l'occurence, il prend le nom des Trois-Evêchés 2818m, un de ses sommets centraux marquant la frontière entre les évêchés de Digne, d'Embrun et de Senez. A noter que malgré l'apport du toponyme au massif tout entier, les Trois-Evêchés ne constituent pas le point culminant du massif puisqu'il s'agit bien de la Tête de l'Estrop 2961m présent à quelques encablures plus à l'Ouest.

La position relativement méridionale de ces montagnes facilite un accès assez tard dans la saison. Les neiges ne bloquant pas encore les cols contrairement aux Alpes du Nord qui ont vu la première offensive hivernale amenant la neige en deçà des 2000m d'altitude. Bien que les sommets du Sud de l'Arc Alpin soient également saupoudrés de neige, seules leurs cimes et les pentes les moins bien exposées conservent les premières couches d'or blanc. C'est la raison pour laquelle on se lance à la découverte de ce massif des Alpes-de-Haute-Provence.

Au départ de la Vallée de la Haute-Bléone, on s'apprête à entreprendre un circuit sur la partie septentrionale du Massif des Trois-Evêchés, la plus haute et la plus alpine de ce groupe de montagnes. Plus au Sud, les hautes cimes se muent en vastes dômes rocheux, quelque peu similaires aux ballons vosgiens mais baignés par des ambiances provençales et totalement dénués de forêts, et pour cause les vents provenant du bassin méditerranéen peuvent s'avérer persistants voire violents sur ces arêtes.

Il n'y a pas de topo pré-établit concernant ce Tour de la Tête de l'Estrop. On l'effectuera sur-mesure pour encadrer le plus sympathiquement possible le point culminant du Massif des Trois-Evêchés. On s'inspirera tout de même des sentiers présents sur la topographie locale, notamment le Tour du Haut-Verdon et les Pr qui traversent ce massif.

 

Jour 1 : Du Serre à la Cabane de Chanabaja.

 

Deux options principales sont possibles pour démarrer ce Tour de la Tête de l'Estrop. Soit par le Nord et le Vallon du Laverq, soit par le Sud et la Vallée de la Haute-Bléone. On privilégie cette dernière option pour justement démarrer du point bas et ne pas devoir traverser la profonde Vallée de la Haute-Bléone à mi-parcours.

 

La première journée est une mise en jambe puisqu'on ne marchera que deux heures. Ceci permettant d'effectuer le trajet depuis la région grenobloise et d'établir le bivouac sur les hauteurs de la Bléone. Vers 15h, on atteint Prads-Haute-Bléone et on file vers l'un des derniers hameaux de la vallée, La Favière, d'où l'on démarrera notre trek. Bien que non-indiqué sur les cartes IGN, il y a bel et bien un parking au niveau du Serre, à la terminaison de la route carrossable émanant de La Favière.

 

On démarre aux alentours des 1300m d'altitude. On surplombe la porte d'entrée de la Haute-Bléone qui conduit jusqu'au Refuge de l'Estrop. De notre côté, au lieu de rechercher à suivre son talweg, nous avons choisi, au vu de la faible quantité de neige sur les cimes, de passer par les crêtes la surplombant, notamment le Mourre Gros que l'on aperçoit dès notre départ. Mais ce sera l'affaire du lendemain. Pour le moment, on se contente de suivre le sentier des trois pâturages. 

 

 

Malgré les forêts de mélèzes présentes en amont, on débute dans un sous-bois typiquement provençal où pins sylvestre, lavandes sauvages et genêts constituent les essences principales. Mais rapidement, les premières traversées de pierriers viennent éclaircir la forêt.

La Montagne de Boules 2391m apparait un peu plus au Sud, finement saupoudrée de neige suite à la perturbation de la matinée.

Vers 1950m, alors que les pins sylvestre se sont vus remplacés par les mélèzes, on atterrit sur un sentier en balcons émergeant peu à peu dans les alpages. Les crêtes reliant le Sommet du Caduc au Mourre de Simance s'érigent face à nous et surplombent ce qu'on appelle les Trois Pâturages. Il s'agit d'un vaste cirque d'alpages composé de la Montagne de Chanabaja, de la Montagne de la Selle et de la Montagne de Mourréen.

 

Photo prise par Estebane Rezkallah.

 

 

Vers 17h, on arrive à la Cabane de Chanabaja perchée sous la limite des 2000m d'altitude. Malheureusement, et malgré la fin de l'estive la cabane est fermée, ce qui nous contraint à trouver une petite place plane dans un alpage bien en dévers.

On contemple les derniers rayons sur les pentes Ouest du Sommet du Caduc 2650m pendant le montage du bivouac.

Avec les pluies de ces derniers jours, de nombreux torrents ruissellent dans les moindres sillons, notamment ceux non loin de la Cabane de Chanabaja.

 

Jour 2 : De la Cabane de Chanabaja au Refuge de l'Estrop par les crêtes.

 

On démarre véritablement l'aventure autour de l'Estrop en cette seconde journée. Alors que les alpages sont en partie gelés, on remballe le bivouac et on s'attaque directement aux pentes qui surplombent la Cabane de Chanabaja. L'objectif étant de rejoindre l'arête reliant le Sommet du Caduc depuis la Crête du Cadun.

 

On atterrit sur la crête au niveau du point 2168. On retrouve les hauteurs de la Haute-Bléone tout en dominant plus amplement les Trois Pâturages.

Notre arrivée sur la crête nous permet aussi une splendide vue sur la Tête de l'Estrop et ses sommets satellites. En bas et à droite, la Haute-Bléone est encore dans la pénombre.

 

On profite quelques instants du soleil avant de rebasculer à l'ombre  pour poursuivre sur le fil de l'arête menant au Sommet du Caduc. Dans un premier temps l'arête est très large et débonnaire puis elle se réduit et s'incline davantage. Il n'y a pas vraiment de sentier ni d'indication sur cette portion. On retrouvera quelques gros cairns sur certains points hauts de l'arête. 

 

Avant le premier ressaut rocheux où l'on passe d'un pierrier à un chaos de blocs, une sente part en balcons vers le Pas des Eaux Tortes (voir carte IGN). Il s'agit ici d'un tracé oublié que les cartes IGN mentionnaient dans leurs anciennes versions mais qui fut peu à peu abandonné suite à son effacement des nouvelles cartographies. De notre côté, on reste sur le fil de la crête pour profiter d'un sympathique panorama sur les massifs environnants.

 

Photo prise par Estebane Rezkallah.

 

Dans le col séparant le Sommet du Tromas et le Puy de la Sèche, on devine quelques cimes enneigées au loin. Il s'agit du Massif du Dévoluy dont on reconnait les sommités caractéristiques notamment la Montagne d'Aurouze et la Grande Tête de l'Obiou.

 

Au niveau du point 2466, on s'échappe de l'arête pour se faufiler dans le Cirque des Eaux Grosses. La crête Nord du Sommet du Caduc semble bien gelée, on part donc chercher la suite de la crête via le Col du Mourre Gros. On retrouve quelques cairns ainsi que quelques traces jaunes en direction du col. Cette digression par rapport à l'itinéraire prévu nous permettra également de nous ravitailler en eau avant un parcours d'arêtes plus long et plus sec.

 

Le Grand Cheval de Bois 2838m.

Le plus haute cime correspond au Mont Pelat 3051m.

 

 

En mettant pied sur le Col du Mourre Gros 2393m (aussi appelé Col de Valdemars), on est littéralement happé par la beauté du paysage s'étalant face à nous. 

La forêt de mélèzes est enflammée par l'automne alors que de l'autre côté de la vallée, le Massif du Pelat et ses 3000 troquent le orange pour le blanc.

 

A noter que sur le col, on se situe à la frontière entre la Vallée de la Haute-Bléone et celle du Haut-Verdon. 

Face à ce splendide paysage, nous avons du mal à nous dire que non loin d'ici, des airs de Provence flottent dans ces montagnes.

La suite de l'aventure nous amène à suivre fidèlement la crête en direction du Mourre Gros. Bien que l'on retrouve la neige, on évolue dans un alpage en dévers jusqu'à la cime rocheuse de la montagne. Derrière nous, le paysage est toujours aussi extraordinaire  entre le bleu du ciel, le flamboyant de la forêt et le blanc des sommets.

Le final du Mourre Gros 2652m s'effectue sur de massifs blocs rocheux pétris de neige. On se cale près du cairn sommital pour profiter d'un panorama limpide sur une vaste portion des Alpes du Sud.

 

Vers le Sud, alors que l'on reconnait le Sommet du Caduc et le Montagne de Boules sur la droite, on y  rajoute le Cheval Blanc. A gauche, on démarre avec la Tête de l'Encombrette à l'extrémité avant d'enchainer avec le Col des Champs puis le Sommet de la Frema, le Cairas et le Grand Coyer.

 

Plein Est, c'est le Massif du Pelat qui a la part belle dans le panorama même si le Massif du Chambeyron et du Parpaillon comblent l'arrière plan gauche. On devine également la Grande Séolane 2909m tout à gauche.

 

Les points hauts du Massif des Trois-Evêchés sont bien entendu visibles au Nord. avec le Puy de la Sèche, la Tête de l'Estrop, les Trois-Evêchés et la Grande Séolane. On aperçoit aussi pour la première fois le vallon abritant le Refuge de l'Estrop au pied du cirque éponyme. Notre objectif étant de l'atteindre via les arêtes légèrement enneigées à droite.

 

Une fois au sommet, on le descend par l'arête Nord. Et qui dit Nord, dit enneigement. L'arête est d'ailleurs bien plus délicate que celle de l'ascension, non seulement du fait de l'enneigement plus régulier et plus présent mais également du fait de l'exposition plus importante. Heureusement les quelques centimètres de neige ne bloquent pas plus que cela notre progression et de petites vires sur le flanc Nord-Ouest de l'arête nous permettent d'éviter le fil vertigineux de cette dernière.

En cas d'impossibilité de descendre cette arête, nous n'aurions eu d'autres choix que de rejoindre à nouveau le Col du Mourre Gros et relier le GrP du Tour du Haut-Verdon qui serpentent dans le mélézin présent sur le flanc Est de la montagne.

Vallon de Rougnouse, son mélézin et son lac.

 

Près de la Tête Noire.

L'ascension du ressaut rocheux du Sommet de Rougnousse.

Une fois l'arête Nord du Mourre Gros descendue, la neige se raréfie et la crête s'élargit. On enchaine les petits sommets secondaires tels que le Sommet de Rougnousse 2504m et la Tête Noire 2558m tout en gardant une vue à la fois sur le mélézin du Haut-Verdon et la profonde Haute-Bléone.

 

Les sommets du Massif du Pelat (de gauche à droite)  : le Petit Cheval de Bois, le Grand Cheval de Bois, le Cimet, Barre Noire, le Téton, le Mont Pelat, le Sommet des Garrets, la Montagne de l'Avalanche, les Tours du Lac et la Tête de l'Encombrette. Tout en bas à droite, il s'agit de la commune d'Allos.

 

Après la Tête Noire, l'arête se rétrécit sur quelques mètres en arpentant des pentes schisteuses. Une fois le passage scabreux franchi, on relie plus sereinement la Baisse de l'Auriac 2386m où l'on remet pied sur le GrP du Tour du Haut Verdon.

 

A la Baisse de l'Auriac (ou Pas de l'Estrop), on quitte la crête pour plonger vers la Haute-Bléone. On retrouve non seulement les sentiers balisés mais également un peu de vie végétale et animale. On croise Mélèzes, Pins à Crochet, Tétras, Chamois et Casse-noix Moucheté, tous bien silencieux malgré notre passage. Ils doivent surement être davantage préoccupés à préparer l'hiver plutôt qu'à regarder passer deux bipèdes mal coiffés.

 

On dévale un peu plus de 300m pour retrouver le fond de vallée et le Refuge de l'Estrop 2050m. Près du petit refuge, l'alpage ruisselle de toute part et quelques mélèzes en feu viennent égayer les alpages grillés par l'été puis par le gel nocturne.

 

La première pierre du Refuge de l'Estrop est posée en 1979 mais il faudra attendre sept ans de travaux pour aboutir au bâtiment originel. Sous l'impulsion de l'ADRI (Association Départementale des Relais et Itinéraires) et non du Club Alpin Français, et avec l'aide de bénévoles, de jeunes travailleurs ainsi que de compagnons du devoir, l'unique refuge du Massif des Trois-Evêchés est construit au pied du point culminant du massif.

Par moment accolé à l'intitulé du Refuge de l'Estrop, on trouve aussi l'appellation Refuge du Chant du Monde en référence au roman de Jean Giono ''Le Chant du Monde'' de 1934 qui a utilisé l'univers de la Haute-Provence et du Massif des Trois-Evêchés pour nourrir son ouvrage.

 

En période non gardée, le Refuge de l'Estrop garde sa salle commune accessible, et équipée d'une grande table à manger, d'un poêle et de sept couchages sur matelas. On investit donc les lieux et on profite d'une pause bien méritée après un peu plus de 5h de marche depuis la Cabane de Chanabaja.

Cependant, après la sieste, avec un soleil encore modestement haut aux alentours des trois heures de l'après-midi, on se motive à aller arpenter l'amont du refuge à la recherche d'un belvédère pour le coucher du soleil.

 

Photo prise par Estebane Rezkallah.

Photo prise par Estebane Rezkallah.

 

On suit dans un premier temps la voie normale de la Tête de l'Estrop. La présence du sentier est hésitante, c'est pourquoi quelques pieux de bois jalonnent la voie d'accès. 

Ce n'est qu'aux alentours des 2400m et d'un gros cairn que l'on se décide à quitter le sentier principal pour partir à l'assaut de la Crête de Chabrières. L'objectif étant a minima de relier le point 2532, une sorte de large col, qui d'ailleurs est tracé sur les cartes OSM. On repérera qui plus est quelques cairns et de légères sentes durant l'ascension.

Au pied du raidillon, un renard peu dérangé par notre présence sera visible sur une bonne partie de la montée comme sur la photo ci-contre.

On arrive sans trop de difficultés à s'ériger sur l'arête. Autant sur l'autre versant la chute est radicale dans le Vallon de Mâle Vesse, autant l'arête n'est pas trop fine pour divaguer sans danger sur son fil.

D'ailleurs, on repère le point haut de l'arête au Sud, au niveau du point 2595. Nous nous y rendons tout en prenant gare au versant verglacé . Derrière nous, la Tête de l'Estrop nous domine de près de 300m. 

 

Cette arête est une voie d'accès un peu plus mystérieuse pour atteindre la Tête de l'Estrop par rapport à celle qui suit le talweg de la Bléone. Après le lieu-dit des Espelisses il faut suivre fidèlement l'arête des Basses puis de Chabrières pour rejoindre les environs de la Tête de l'Estrop. 

De notre côté, on se contentera de flâner sur ces crêtes pour contempler le coucher du soleil.

Le point 2595 à gauche puis on plonge dans la Vallée de la Haute-Bléone avant de remonter radicalement vers le Sommet du Tromas 2502m où le soleil semble se poser peu à peu.

 

On termine notre échappée légèrement sous le point 2595. De là, on a une ample vue sur les arêtes qui nous surplombent comme celles que l'on domine. D'ailleurs quelques tâches noires présentes en contrebas attirent notre attention.

 

Un vaste troupeau de chamois pait sur les Arêtes des Basses. Ils profitent des derniers rayons et d'un environnement encore préservé de l'affluence humaine. Sur la droite, un bouquetin solitaire broute aux abords de l'arête. Il n'en a que faire de notre présence.

 

Derrière les Monges, on devine le Mont Ventoux à gauche.

La Lune se lève au-dessus du Mont Pelat.

Au loin, le Cheval Blanc.

La neige a en partie fondu sur les cimes des Alpes du Sud. Mais les couleurs du coucher du soleil ravivent l'ambiance mi-automnale mi hivernale sur les reliefs. Le silence est roi pendant ces quelques instants. Seuls les craquèlements de la roche friable sous nos pas émettent de petits sons et même le bouillonnement des vallées se fait rare tant la densité de peuplement humain est faible dans cette région. 

Notre dilemme ? Contempler la chute du soleil près du Ventoux ou zieuter l'ascension de la Lune au-dessus du Pelat.

 

Photo prise par Estebane Rezkallah.

Il est 17h20 et les sommets se parent de rose. Il ne nous reste que quelques minutes de luminosité avant que la Lune ne prenne le relai.

 

Une fois la totalité des cimes dans la pénombre et alors que c'est au ciel de se parer de diverses couleurs rosées, on fait demi-tour vers le Refuge de l'Estrop. On reliera notre abri en une petite heure à la frontale. Il n'en faudra pas plus au gel pour envahir les pentes de l'Estrop.

 

Jour 3 : Du Refuge de l'Estrop au Vallon du Col La Pierre.

 

 

On se remet en route vers 7h30 du matin. Les premiers rayons illuminent les Mées de l'Estrop et les arêtes où nous nous trouvions la veille. Malgré le gel nocturne, on va vite se réchauffer en partant à l'assaut du point le plus haut de notre aventure : le Col de la Petite Barre 2735m. Pour cela, il faut suivre la signalétique indiquant la Baisse de l'Aiguille. On suit ainsi une nouvelle fois le GrP du Tour du Haut-Verdon.

 

 

On grimpe en grande partie dans l'ombre de la Tête de l'Auriac, d'abord en suivant fidèlement le torrent puis, au niveau du Plan du Ceï on franchit divers ressaut rocheux avant d'atteindre des pentes plus douces. Ce n'est qu'aux alentours de la Baisse de l'Aiguille que l'on passe au soleil.

Nous n'irons pas jusqu'à ce col, au contraire, on bifurquera juste avant de l'atteindre ce qui nous permet ainsi d'éviter le domaine skiable de la Foux d'Allos présent sur l'autre versant.

 

Après la bifurcation et malgré notre orientation plein Sud, la neige se fait de plus en plus présente. On a du mal à se dire qu'aux pieds de l'Estrop, on plonge en Provence avec son climat méditerranéen. Ici, c'est bel et bien l'hiver alpin qui a pris le pas et la petite bise matinale est là pour nous le rappeler. Heureusement, la divagation dans ce chaos de blocs n'est pas très compliquée et la plupart des cairns émergent de la fine couche de neige.

 

Au Col de la Petite Barre 2735m, on se situe tout proche des Trois-Evêchés 2818m à droite suivi de la Dent des Trois-Evêchés puis de la Crête des Courtiens. La vue est splendide du Sud au Nord, du Mercantour aux Ecrins en passant par le Pelat, le Parpaillon et les Préalpes de Digne.

 

Cependant, les choses sérieuses commencent. Puisque nous sommes montés plein Sud, la chute de l'autre côté du col se fait de facto plein Nord et malgré la fine couche de neige sur les massifs sud-alpins, il n'y a plus de dégel sur l'autre versant, la coucher de neige s'étant pas endroit muée en couche de glace. L'inclinaison de la pente n'est pas forcément très importante mais la progression légèrement en dévers du sentier sur l'autre versant nous pousse à basculer dans les petits couloirs de roche et de neige qui tapissent la rampe d'accès. Sur les cinquante premiers mètres, on pose et on calcule précisément chacun de nos pas avant de souffler un peu une fois les difficultés terminées.

 

Sur cette seconde photo, on devine nos traces de descente depuis le Col de la Petite Barre qui se situe à la frontière entre la zone d'ombre et la zone ensoleillée. Pour faire simple, le sentier passe au-dessus de la première barre rocheuse présente sur la portion gauche de la photo.

 

L'austère pierrier Nord nous ramène au soleil puis au mélézin, tout en gardant une ample vue sur le Massif des Ecrins et ses géants. Ce fond de vallée appartient à la Réserve Biologique de Laverq qui permet l'établissement de zones de quiétude pour le tétra-lyre et le lagopède alpin ainsi qu'une protection sur les nombreuses zones humides qui sont présentes dans le cirque.

 

Nous ne descendrons pas au-delà des 2100m d'altitude. Au niveau du lieu-dit de la Lambresc on stoppe notre descension pour rejoindre les Eaux Tortes. 

Le Eaux Tortes correspondent à une vaste zone humide perchée à plus de 2200m d'altitude. Directement issues des eaux de l'ancien Glacier de la Blanche, ces tourbières observent une saisonnalité de leur écosystème avec un assèchement estival avant de regonfler avec l'arrivée de l'automne. Pour éviter un piétinement de cette zone, un chemin en effectue le contour.

Durant l'âge d'or du Glacier de la Blanche, c'est un lac glaciaire qui se trouvait à la place de cette zone humide. Avec les sédiments, ce dernier s'est peu à peu comblé, donnant naissance à ces tourbières et leurs méandres.

Le versant Nord de la Tête de l'Estrop, ancienne moraine du Glacier de la Blanche.

 

A la suite des Eaux Tortes, on poursuit notre ascension en direction du Col de Vautreuil. On passe ainsi des zones alpestres à un vaste chaos de blocs, signe des mouvements glaciaires d'antan.

 

Sur l'ubac de la Tête de l'Estrop, on remarque encore la mention ''Glacier de la Blanche'' sur les cartes IGN. Avec le réchauffement climatique, le glacier le plus méridional des Alpes françaises a réduit comme peau de chagrin et git maintenant sous les blocs rocheux. Il n'y que les indices de sa présence passée qui témoignent de l'origine glaciaire de la zone : moraine glaciaire, zones humides, roches polies. De même que les animaux friands de cet environnement glaciaire à l'instar de ce lagopède alpin tout juste visible au moment de son envol.

Photo prise par Estebane Rezkallah.

Contrairement au Col de la Petite Barre, le Col de Vautreuil 2582m ne présente aucune difficulté, quel que soit le versant. On regarde une dernière fois la Tête de l'Estrop et son dôme sommitale avant de basculer dans le Vallon de Vautreuil.

 

Photo prise par Estebane Rezkallah.

 

 

De l'autre côté du Col de Vautreuil, on remplace la Grande Séolane par la Mournière 2710m. 

Le sentier balisé ne descend pas tellement dans le vallon. Au contraire, il part légèrement en balcons pour contourner un pan de montagne jusqu'au Pas de Galèbre au pied du Pic des Têtes. 

Mais pour éviter un sentier encore bien enneigé et plein Nord, on file directement vers le talweg du vallon en suivant le Torrent de Vautreuil, déjà pétrifié par l'hiver.

La Vallon de Vautreuil est particulièrement esthétique. On passe sous d'immenses barres rocheuses où s'empilent des tonnes de roches, comme un véritable château de cartes. On retrouve ici un relief typiquement dévoluard voire dolomitique.

Au niveau du torrent de Vautreuil, il ne faut pas continuer à le suivre au-delà du point 2335. Au bout, les barres de Vautreuil empêchent toute progression vers l'aval. Ainsi, pour retrouver les sentiers balisés et contourner ces parois, on trouve un petite faiblesse dans le Vallon de Vautreuil légèrement au Sud du point 2384 qui nous permet de basculer sur la branche du vallon émanant du Pas de Galèbre. On fait face ainsi pour la première fois au Pic des Têtes 2662m (photo ci-dessus).

 

Après un replat où trône une petite bergerie flambant neuve, on arrive sur un sentier sinueux zigzagant au centre d'un pierrier. Assez incliné, il nous permet de franchir les barres de Vautreuil sans difficulté particulière. Quoique, situé au Nord, la moindre source est gelée, verglaçant le sentier sur plusieurs portions.

 

Tant bien que mal on arrive sur la partie basse de la vallée. On poursuit jusqu'au croisement de la Grangette où l'on stoppe notre descension. L'idée est d'entamer l'ascension du Col La Pierre en cette fin d'après-midi et d'aller trouver un coin bivouac sur l'un des replats jalonnant ce sentier d'ascension. Chose que l'on effectuera en aval du point 2221, où coule la dernière source non gelée que l'on croisera lors de cette ascension.

 

 

 

 

Sous la face Nord de la Mournière on installe rapidement le bivouac. A peine posée, la tente se fige. On profite malgré tout d'un joli changement de luminosité sur la Tête de Chabrière 2745m et la Petite Séolane 2854m.

 

Jour 4 : Du Vallon du Col La Pierre au Serre via le Sentier des Hameaux Abandonnés.

 

Au petit matin, on quitte le confort de la tente pour affronter les alpages et les pierriers frigorifiés. Notre positionnement plein Est nous permet de bénéficier rapidement des premiers rayons du soleil. 

Il ne nous reste plus que 300m de dénivelés pour relier le Col La Pierre, dernier grand col de notre aventure autour de l'Estrop. Rapidement, on retrouve un monde minéral délicatement recouvert de neige, la face Nord de la Mournière ne laissant plus passer les rayons du soleil depuis quelques semaines.

Photo prise par Estebane Rezkallah.

Premier ressaut du Col La Pierre avec la Petite Séolane en arrière-plan.

 

 

Les derniers mètres avant le Col La Pierre.

Au Nord du col, il s'agit de la Moutière 2596m, aussi appelée le Dos de Chameau.

 

Au Col La Pierre 2433m il ne faut pas hésiter à se hisser sur le point haut de la crête un peu plus au Nord. De là, un immense panorama s'étend sur la Haute Provence, le Dévoluy, les Monges et le Gapençais. On surplombe ainsi les Vallées du Bès et de la Blanche qui constituent la frontière géologique entre le Massif des Trois-Evêchés (où nous nous trouvons) et le Massif des Préalpes de Digne.

 

 

Le versant occidental du col est fort heureusement dénué de traces de neige. Il s'agit d'un immense pierrier très incliné que le sentier traverse de part en part jusqu'à retrouver les alpages et les sols meubles.

 

Une fois sous le Col La Pierre, le balisage et les sentiers sont anecdotiques dans les alpages surplombant la Vallée du Bès. En fonction  de la topographie, on évoluera à notre sauce dans ces alpages pour éviter de trop redescendre en vallée. Le principal défi lors de cette traversée d'alpages sera de relier la Grande Montagne à la Montagne des Têtes : deux grands pâturages qui ne sont aucunement relier par des sentiers, en tout cas sur les cartes IGN. Pour se faire, on traversera successivement le Plan Vallon, le Clot des Marmottes et le Haut Val Pousane avant de retrouver un furtif balisage.

 

Sous la paroi de Roche Close, près du lieu-dit de la Résinière.

Les Monges et le Mont Ventoux depuis les environs du Clot des Marmottes.

Près de la Source du Vaillet.

Photo prise par Estebane Rezkallah.

 

Durant toute cette portion, on oscillera entre les 1900 et 2000m d'altitude. Cela nous permettra de garder un magnifique panorama sur l'Ouest de la région, notamment les Préalpes de Digne et les sommets enneigés du Gapençais un peu plus au Nord. Le relief est radicalement contrasté entre les parois abruptes et austères qui nous surplombent et les montagnes à vache bosselées des Préalpes.

 

Cela nous permettra également de faire la rencontre d'un gypaète barbu juvénile qui tournoiera quelques instants au-dessus de nos têtes, enquiquiné par une dizaine de chocards dont l'imposante envergure du géant des Alpes n'apeure aucunement.

 

Ce n'est qu'à partir du Haut Val Pousane que l'on entame véritablement notre descension. On se rapproche de la Cabane de Val Pousane avant de chuter vers le lieu-dit de l'Immerée où l'on traversera à gué leTorrent du Galèbre. Au fur et à mesure que l'on dévale des pentes, la forêt évolue progressivement vers une végétation typiquement provençale. Le tout accompagné par une agréable douceur qui contraste avec les quelques fines traces de neiges qui résistent sur les versants Sud des Trois-Evêchés.

 

La Cabane de Val Pousane.

Le Puy de la Sèche 2820m nous surplombe sur une bonne partie de l'itinéraire de fin.

Traversée du Ravin des Tomples.

Entre la Cabane de Val Pousane et le petit hameau de Saume Longe, on traverse une succession de ravins plus ou moins malmenés par les épisodes pluvieux qui sévissent dans cette zone des Alpes, à la confluence des climats montagnard et méditerranéen. Il faut donc bien calibrer les randonnées dans la région, cette zone étant à éviter lors d'épisodes orageux majeurs ou d'une fonte rapide des neiges.

Le Pic des Têtes près du Ravin de la Pommeraie.

Malgré la présence de quelques panneaux et de quelques traces, le balisage reliant la Cabane de Val Pousane et Saume Longe est assez discret pour ne pas dire aléatoire. Surement mis à mal par les intempéries, il doit aussi manquer d'entretien du fait de la faible fréquentation des lieux. 

D'ailleurs, sur les quelques panneaux que nous croisons, on voit l'intitulé ''Les Hameaux Abandonnés'' se glisser à côté des directions indiquées. Il s'agit d'un itinéraire de randonnée joignant en circuit les six anciens hameaux de l'ancienne commune de Mariaud. Cette dernière étant rattachée à Prads-Haute-Bléone depuis 1973. Sur la signalétique à gauche, trois des six anciens hameaux sont indiqués. A partir des années 1930, ces différents hameaux se sont peu à peu vidés de leurs habitants au point que jusqu'en 2017, seul Saume Longe était encore habité. 

C'est un évènement un peu particulier qui est venu perturber le calme de cette région et la torpeur dans laquelle ces anciens hameaux étaient plongés. Le 24 mars 2015, une des plus graves catastrophes aériennes survenue sur le sol français se réalise dans les environs de l'ancienne commune de Mariaud. L'avion de la Germanwings reliant Barcelone à Düsseldorf, entrainé par le suicide du copilote, s'écrase non loin du Col de Mariaud, au coeur du Ravin du Rosé, avec 150 âmes à bord. A la suite de cette catastrophe, les communes du Vernet et de Prads-Haute-Bléone ont décidé de restaurer le hameau de Pié Fourcha, dernier hameau survolé par l'appareil. La revivification de ce hameau était une façon pour les habitants et les municipalités de la zone de rendre hommage aux nombreuses victimes du crash.

 

Le hameau de Saume Longe et le Sommet de la Grisonnière 2010m.

 

Depuis les ruelles de Saume Longe, on emprunte sur quelques kilomètres la petite route sinueuse nous conduisant vers les Eaux Chaudes. Nous aurions pu poursuivre sur les sentiers via le Bois de la Julie, mais cela rallongerait notre itinéraire. D'autant qu'une fois aux Eaux Chaudes il nous faudra relier la voiture stationnée au Serre.

 

Les Eaux Chaudes constituent le point de départ classique pour aller au Refuge de l'Estrop. Cet itinéraire permet de suivre le talweg de la Bléone et d'arriver après 3h d'ascension dans les environs du refuge. 

Quant à nous, notre défi est de réussir à relier les Eaux Chaudes au Serre en franchissant la Bléone. Au niveau du Parking des Eaux Chaudes et de son petit lac (photo ci-contre), le torrent est trop agité pour être traversé et de nombreux rapides jalonnent le cheminement entre les deux rives. On remonte donc sur quelques centaines de mètres le torrent via l'itinéraire du Refuge de l'Estrop jusqu'à atteindre un replat où le torrent est un peu plus calme, près du lieu-dit des Espelisses. Le lit de la Bléone est beaucoup trop large et beaucoup trop aléatoire en fonction des intempéries pour que soient installées des passerelles facilitant sa traversée. D'autant que de l'autre côté, il s'agit de l'ancien sentier de l'Estrop, aujourd'hui abandonné et non entretenu.

Nous traverserons les deux bras de la Bléone pour rejoindre le pied du pierrier que l'on voit chuter dans le lit du torrent sur la photo ci-dessus. Aujourd'hui, le torrent est relativement calme mais la largeur de son lit, les arbres déracinés et les immenses blocs de roches présents témoignent de la violence de ce cours d'eau en cas d'intempérie. 

Ce n'est qu'au pied du pierrier que l'on devine l'ancien sentier de l'Estrop, encore bien délimité dans le sous-bois. Il nous permet ainsi de remonter tranquillement la petite centaine de mètres qui sépare la Bléone du Serre.

Le Mourre Gros depuis le lit de la Bléone.

Depuis le Serre, la neige a totalement disparu des cimes du Massif des Trois-Evêchés. De leur face Sud du moins.

 

On termine le Tour de l'Estrop particulièrement comblé par les paysages que nous avons pu croiser sur ces quatre jours de randonnée. Les trois principales journées de ce trek ont été grandioses à leur manière et ont permit un cheminement varié autour du point culminant des Trois-Evêchés tout en ayant constamment un pied en Provence et l'autre dans les Alpes : un sentier de crêtes le premier jour, le franchissement de deux hauts cols le second, et des traversées d'alpages et de forêts le troisième. Le tout agrémenté d'un environnement sauvage exceptionnel où chamois, bouquetins et rapaces règnent en maître. Reste à conquérir, un jour, la Tête de l'Estrop 2961m, roi du Pays Dignois et de la Haute Provence.


ITINÉRAIRE DE LA RANDONNÉE : 

 

  • Départ/Arrivée : Parking du Serre - km 0
  1. Cabane de Chanabaja (Bivouac 1) - km 5,2
  2. Col sous le Sommet du Caduc - km 7,9
  3. Les Eaux Grosses - km 8,7
  4. Col du Mourre Gros - km 9,4
  5. Mourre Gros - km 10,4
  6. Sommet de Rougnousse - km 11,7
  7. La Tête Noire - km 12,3
  8. Baisse de l'Auriac - km 13,5
  9. Refuge de l'Estrop (Nuitée 2) - km 15,5
  10. Col sous la Crête de Chabrières - km 17,3
  11. Point haut des Mées de l'Estrop - km 17,8
  12. Bifurcation avant la Baisse de l'Aiguille - km 22,4
  13. Col de la Petite Barre - km 23,4
  14. Bifurcation vers les Eaux Tortes - km 26
  15. Les Eaux Tortes - km 27,4
  16. Col de Vautreuil - km 30,5
  17. Talweg de la Source de Vautreuil - km 31,5
  18. Bifurcation de la Grangette - km 35,4
  19. Bivouac 3 sous le Col La Pierre - km 36,8
  20. Col La Pierre - km 38,2
  21. Sentier cairné dans le dévers de la Résinière - km 39,9
  22. Clot des Marmottes - km 41,1
  23. Au-dessus de la Source du Vaillet - km 42
  24. Col sous le Pinet - km 43,2
  25. Lieu-dit de l'Immerée - km 45.2
  26. Saume Longe - km 47,8
  27. Parking des Pleniès - km 48,8
  28. Parking des Eaux Chaudes (lac) - km 51,5
  29. Traversée à gué de la Bléone - km 52,5
  30. Ancien sentier de l'Estrop - km 53,4
Tour De La Tete De L Estrop Trace Gpx
Données géographiques – 228,4 KB

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